Islamophobie en veux-tu en voilà
Rédigé par Laurent Maronneau / 16 mars 2021
Il est tous les jours question d’islamophobie dans les médias ou dans les institutions scolaires ou universitaires. N’est-ce pas tout bonnement la contrepartie d’une pratique religieuse plus rigoriste ? Moins tolérante, à l’offensive contre un mode de vie qui met toutes les religions à égalité, sous la loi commune ? Le marketing islamiste nous présente une nouvelle ethnie qui doit défendre ses droits bafoués : les musulmans. Le substantialisme est insupportable, surtout en matière de religion, car l’assignation identitaire qui en découle fabrique des étrangers à leur propre pays. Elle doit être combattue. Le national, tout comme l’international, prévalent sur l’assignation religieuse, identitaire, ethnique ou raciale, ou pire encore, culturaliste.
« Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. »
Michel Audiard
Ce dont il est question
Que désigne au juste l’islamophobie ? Un racisme anti-musulman ? Un rejet de l’Islam ? Préférons le second au premier, puisque la race musulmane n’existe pas. Le sens étymologique est également pertinent, renvoyant à une phobie de l’islam. La peur des musulmans est prégnante dans le discours et la mise en scène des médias. Presque chaque fois qu’ils abordent un sujet lié à cette religion, le ton est anxiogène. Le marketing islamiste joue d’ailleurs sur l’islamo-phobie. La peur du musulman lui sert d’exemple et de carburant pour soutenir son discours rigoriste et rétrograde. Toutefois, rejeter l’islam n’est pas plus grave que rejeter le christianisme ou le judaïsme. Si l’on a envie de changer de religion ou de faire le choix de l’incroyance ou même de l’athéisme, ce n’est pas bien important (sauf pour qui fait ce choix). Cela n’empêche aucunement de respecter, ou non, les lois de la République, qui sont les seules qui valent sur le sol français. Cela n’empêche pas non plus de respecter ses concitoyens, quelle que soit leur religion.
Peut-on dire avec sérieux qu’une femme sans foulard n’a pas de vertu ni de valeur ? Qu’elle peut être violée, ce n'est pas grave ? En quoi le fait de rejeter ce type de propos serait islamophobe ? Le doute semble tout de même permis ⸮* S’il est tout à fait autorisé de porter un voile religieux, il faut aussi reconnaître que c’est un signe de rigorisme ou d’orthodoxie religieuse, au même titre que la jupe ou la perruque pour les femmes acceptant le rigorisme de la confession juive. Ce n’est pas normal au sens où la norme dans la société française n’est pas l’orthodoxie religieuse (notre normalité, est tout de même bien plus axée sur le consumérisme en provenance des USA).
Bêtise ou malignité ?
Désormais, est jugé islamophobe le fait de parler de liberté d’expression en montrant des caricatures du prophète (entre autres images caricaturant d’autres religions, ou les blasphémant), ou de parler de laïcité, puisqu’elle est jugée à tort comme une attaque contre les religions, notamment contre celle des musulmans. La substantialisation de la religion et sa confusion avec l’ethnie (ou la race, dans le langage de la sociologie) sont des excès propres à un discours soit ignorant, soit stratégique et orienté par une idéologie mortifère. Non, les musulmans ne sont pas une race. Par conséquent, critiquer leur religion n’est pas du racisme. L’islamophobie n’est pas un racisme. C’est pourtant pétrie de cette confusion que l’Union syndicale de l'IEP de Grenoble a placardé publiquement : « Des fascistes dans nos amphis. (...) L'islamophobie tue. » Pourtant, c’est bien plus une forme d’islamophilie excessive qui tue dans nos rues ou nos supérettes ou nos salles de concert, terrasses de cafés, salles de rédaction (et nous ne parlerons pas plus avant de la comparaison désastreuse avec le fascisme). Qu’une personne (en l’occurrence, un enseignant) ne souhaite pas mettre sur le même plan l’islamophobie, le racisme et l’antisémitisme semble pourtant tout à fait légitime, sauf si l’on a attribué un sens racial à l’islamophobie. Cela dit, s’il est possible d’accepter de mettre sur le même plan racisme et antisémitisme, ce n’est pas parce que les juifs seraient une race (ce n’est pas le cas), mais parce que les sémites, fils de Sem, ont pu être envisagés un temps comme une race humaine à part entière (ce n’est plus le cas). De Sem descendraient donc les populations de langues sémitiques (arabe, hébreu et d’autres langues actuelles). Il y a d’ailleurs de nombreux musulmans qui ne sont pas sémites : une partie des Berbères, des Pakistanais, des Soudanais, des Français, etc.
Il n’est bien entendu pas question de remettre en cause le fait que les personnes de confession juive sont l’objet de menaces et de crimes. Ce sont les seules, sur le sol français, à être assassinées pour leurs croyances. Les autres assassinats religieux que l’on peut constater mettent l’accent sur le fait que les victimes ne sont pas de bons croyants, au sein de la bonne religion (mécréants, apostats, blasphémateurs). La distinction semble assez importante pour être mentionnée. S’il y a d’innombrables manières de croire, certains s’arrogent le droit de tuer ceux qui ne se conforment pas à leurs croyances. Comment peut-on vouer aux gémonies des personnes parce qu’elles ne pensent pas comme nous, à l’instar de ce qu’ont fait les syndicalistes irresponsables de l’IEP de Grenoble ? Une piste de réponse semble intéressante : l’islamophobie serait instrumentalisée à d’autres fins. Mais quelles fins justifient d’insulter des personnes et de, possiblement, les menacer indirectement de mort en affichant leurs noms publiquement ? Il est vrai que ce n’est pas parce qu’on est majeur qu’on est un adulte, c’est-à-dire responsable, bien qu’on le soit tout de même pénalement.
Pour essayer de comprendre cette situation, il est utile de considérer avec attention ce que nous dit, par exemple, Fatiha Agag-Boudjahlat : « L’islamophobie, c’est fait pour créer et coaliser la communauté musulmane ». Cette notion de combat et culpabilisante, substantialisant les musulmans en race, serait donc un outil visant à constituer une communauté là où il n’y en a pas. Et en effet, pas d’oumma en France. Mais des tentatives pour en constituer une. Tentatives dont le pire ennemi est l’indifférence aux prêches des islamistes de la part des musulmans eux-mêmes. Il faut donc faire parler de soi, de cette communauté fantasmée, donner un sentiment d’appartenance à un ensemble substantialisé en communauté : les musulmans. Il faut faire croire qu’il y a une intolérance généralisée envers les musulmans, dans le but de coaliser une communauté qui ne vote pas en tant que communauté (mais que les islamistes aimeraient bien faire voter « comme un seul homme »), puisqu’elle n’existe pas comme telle. Le citoyen est un individu. Il n’est pas membre d’une communauté. Et que des gens et organisations de gauche tombent dans ce piège est une preuve de leur perte de repères politiques ou de leur aveuglement, à moins que ce ne soit du clientélisme.
Oui, mais je suis libre !
Nous sommes libres. Qu’est-ce à dire ? Dans le contexte construit de cette islamophobie imaginaire (et pourtant, il y en a de la haine contre les musulmans, mais elle ne se manifeste pas là ; elle ressort plutôt d’un racisme qui fait le même amalgame entre religion et race, mais s’en prend aux « arabes », plutôt qu’aux musulmans, comme cela se retrouve dans toutes les insultes racistes au faciès), la liberté serait de porter le voile parce que « c’est mon corps, c’est mon choix ». Justifier ainsi sa liberté d’action, c’est la défaite de l’éthique. Il s’agit là de pure puissance d’agir, sans aucune forme de réflexion éthique sur les valeurs devant guider l’action. La seule explication est : je peux, donc je fais (ce qui est, dans notre contexte, une forme de récupération de l’individualisme par un communautarisme). Il est possible de comprendre qu’une pensée adolescente en reste là. Cela n’en est pas moins mortifère pour la pensée, pour la société, pour la personne elle-même et plus précisément, pour la liberté. Car la liberté n’est pas celle de faire ce que je veux quand je le veux, quelles qu’en soient les conséquences.
Selon Montesquieu : « La liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir. » Faire ce que l’on doit vouloir, c’est se conformer à un cadre de règles, de devoirs, d’interdits : un cadre moral et légal. Sans cadre, sans limite, pas de liberté. Les cadres sont variés et une femme musulmane peut très bien porter le voile parce qu’elle se conforme aux prescriptions morales du rigorisme religieux. Ce choix est respectable. Et il doit être compris comme ce qu’il est : un choix religieux rigoriste. C’est le choix d’une affirmation religieuse orthodoxe (dans les sociétés patriarcales, la femme doit être pudique, discrète et humble. C’est ce que signifie le voilement dans l’islam). Ce n’est pas le choix de la majorité et par conséquent, ce n’est pas ce qui constitue la normalité. C’est un choix assumé qu’il ne faut pas escamoter derrière un « je fais ce que je veux ». Parce que précisément, on ne fait pas dans ce cas ce qu’on veut, mais on fait ce qu’on doit vouloir, en respectant des règles morales édictées par l’orthodoxie religieuse (ne pas porter le foulard serait pratiquer un faux islam de blancs). De plus, les discours contre le port du voile sont, à l’évidence, orientés vers les femmes musulmanes. Il est alors légitime de se demander pourquoi aucun discours, même raisonnable, ne vient interroger le port du qamis par les islamistes masculins. Cette chemise traditionnelle (le mot vient semble-t-il du latin camisia et de l’espagnol camisa), qui est parfois portée pour se rendre à la mosquée, est pourtant l’uniforme quotidien des hommes islamistes (au même titre que la barbe). Avec l’influence rigoriste, tout se passe comme si la seule façon d’être ou de devenir musulman était d’être ou de devenir islamiste.
Mais que fait la gauche dans cette galère ?
Si la religion est un choix, un choix souvent construit par l’éducation, mais un choix et non une obligation, il en va de même des idées politiques, comme il en va de même de toute croyance. Chris Harman propose de recruter, au cas par cas, de jeunes islamistes en les séparant de leurs bases idéologiques et logistiques, pour les amener à combattre aux côtés des anticapitalistes et anti-impérialistes. C’est une stratégie qui peut porter ses fruits dans les limites posées par Harman. Cependant, il semble que certains groupes de gauche se fassent au contraire subvertir par l’idéologie islamiste plutôt que de parvenir à extirper certains jeunes du carcan de leur rigorisme religieux. Brandir l’islamophobie comme crime qu’il faut combattre ou comme anathème dont il faut agonir ceux avec qui on est en désaccord est une pratique islamiste : tu dis un mot de travers par rapport à mon orthodoxie, tu deviens mon ennemi et je dois t’éliminer, socialement, voire physiquement. Plus largement, c’est une pratique fanatique, c’est-à-dire d’intolérance absolue à ce qui est différent de ce qu’on croit devoir être. Il est légitime de se demander ce qui pousse une partie de la gauche à user de ces méthodes réactionnaires. Les croyances de ces personnes se sont-elles crispées autour de « vérités » inébranlables ? Sont-elles devenues inaccessibles à une argumentation raisonnable ? Quelle lutte justifie d’abandonner sa conscience critique, sa liberté de conscience (qui a été retirée récemment de la constitution algérienne, du fait de l’influence des islamistes) ? Va-t-on bientôt qualifier d’apostats ou de mécréants ceux qui ne sont pas assez antifa ? L’islamophobie, mais également l’islamo-philie, sont des obsessions pour l’islam qui, en tant que religion pacifique et libérale, se passerait bien de tant d’attention, ainsi que de cette approche rigoriste. Vouloir absolument que (tout) le monde corresponde à nos croyances et agonir d’insultes ou agresser physiquement ceux qui sont en désaccord avec ces croyances, c’est une définition plutôt pertinente du fanatisme. Et tout fanatisme est mortifère. Qu’il soit religieux ou politique.
Si ce reproche est adressé ici aux antifas obtus ou égarés (comme ceux, pro-prostitution, pro-voile et militants de la cause trans, qui ont lancé des œufs sur des féministes anti-prostitution, le 8 mars) et aux islamistes, il peut tout aussi bien être adressé aux laïcs radicaux. Dans les trois cas il s’agit de fanatiques qui font passer leurs croyances pour des vérités absolues et combattent avec virulence tout ce qui s’écarte de leur point de vue, de leur opinion. Ils mettent en scène des conflits, alors que pour parvenir à éviter les crispations identitaires, il serait plus judicieux de confronter des points de vue sur le mode agonistique. L’agône est la mise en débat des opinions dans un cadre où les débatteurs s’écoutent, où l’argumentation reposant sur un discours rationnel est susceptible d’emporter la conviction de l’adversaire, car les débatteurs partagent des fondamentaux rationnels : une vérité émerge au cours du processus de constitution d’une opinion argumentée rationnellement. Dans la polémique, il n’y a pas d’écoute des arguments de l’autre, il y a affirmation des siens, jusqu’à faire taire le contradicteur, jusqu’à faire table rase de l’opposition. La polémique est le terrain de jeu de l’affirmation monolithique d’une opinion vécue comme une vérité révélée ou absolue. Ce n’est pas ainsi que l’on peut faire société, au-delà de la constitution de petits groupes endogames, partageant les mêmes illusions.
Pour le cas qui nous occupe ici, il se peut que ces syndicalistes aient été les victimes d’infiltrations réussies (physiques ou idéologiques). En tout état de cause, leur comportement semble montrer des proximités délétères avec l’islamisme réformiste (comme celui les Frères musulmans). Si c’était le cas, cela constituerait une victoire pour les islamistes et n’augurerait rien de bon pour ce qui est nommé la gauche de la gauche. Dans les limites de cette hypothèse, l’expression islamo-gauchisme, telle que les médias en usent, serait appropriée pour qualifier les actions de ce syndicat étudiant.
Séparer racisme et critique de la religion
Comment peut-on envisager de critiquer la religion musulmane sans se faire immédiatement taxer de racisme ? Il semble nécessaire de proposer un autre vocable désignant la critique de la religion, car celui d’islamophobie n’est pas approprié. Cette affirmation prend appuis sur deux arguments. Tout d’abord, c’est le vocable usité par les islamistes pour faire avancer leurs idées politiques (repris à un fonctionnaire colonial français et passant par l’Iran de la révolution islamique). D’autre part, son étymologie est problématique. Si l’on peut avoir peur de l’islam quand on subit, même indirectement, les crimes commis par une minorité qui s’en revendique, cette peur ne peut permettre une critique raisonnée, mais seulement un rejet affectif. L’islam comme phobogène provoque des réactions réflexes de dégoût, de rejet, de fuite. Il faut donc se départir de l’aspect phobique afin de pouvoir raisonner sur la religion. Quant à la critique, il ne s’agit ni de conspuer ni de dénigrer, sens communs de critique dans les médias, mais de comprendre, en examinant et en discutant les textes et les pensées, les prises de position des autorités religieuses, les rapports entre le monde tel qu’il est et la pensée religieuse.
Dans le contexte ainsi posé, il serait pertinent de trouver une autre terminologie. Peut-être pourrait-on parler d’islamo-glosie ou d’islamo-scolie pour désigner la critique de la religion musulmane ? Ce qui est certain, c’est qu’il faut désenclaver la critique de la religion de son amalgame avec le racisme. Il est important de se rapprocher de l’islamologie afin de permettre un examen dépassionné de cette religion. Des regards historiques, sociologiques et philosophiques sont nécessaires aujourd’hui (et ils sont pratiqués, mais restent cantonnés à des cercles universitaires restreints) pour nous permettre de défaire les crispations qui ne manquent pas de jalonner le débat sur l’islam confronté à sa tendance rigoriste. Car le point le plus important de la question de l’islamisme n’est pas sa relation à l’occident (à l’action duquel il est une réaction), mais sa relation à l’islam dont il est issu et qu’il prétend résumer, mais également réduire à lui-même.
*Ceci est un point d’ironie.